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La profession d’ingénieur forestier peut mener à de nombreux domaines de pratique. Plusieurs de ces domaines peuvent amener certains ingénieurs forestiers à témoigner devant le tribunal à titre de témoin expert. Le rôle de témoin expert doit être pris au sérieux par les professionnels qui l’exercent. Nous aborderons, dans les prochaines lignes, certaines des particularités qui encadrent la conduite du témoin expert.

RÔLE

« L’expertise a pour but d’éclairer le tribunal et de l’aider dans l’appréciation d’une preuve en faisant appel à une personne compétente dans la discipline ou la matière concernée [...]. »1. C’est principalement dans ce contexte qu’il est fait appel à l’expertise d’un professionnel. Il y a également la situation ou l’expert conseillera une partie sur l’orientation à donner à un dossier avant même qu’u

ne demande en justice ne soit intentée. L’ingénieur forestier qui accepte de jouer le rôle d’expert doit s’assurer d’avoir toutes les connaissances requises et les compétences nécessaires. Quant au rapport qu’il devra produire, la loi prévoit que « Le rapport de tout expert doit être bref, mais suffisamment détaillé et motivé pour que le tribunal soit lui-même en mesure d’apprécier les faits qu’il expose et le raisonnement qui en justifie les conclusions; il y est fait mention de la méthode d’analyse retenue. [...] »2. La qualité et le contenu du rapport sont d’autant importants que le principe veut que le rapport tienne lieu du témoignage de l’expert, sauf exception.

S’il n’a pas les compétences requises ou s’il manque gravement à ses devoirs dans l’accomplissement de sa mission, l’expert pourra être remplacé ou désavoué.

QUALIFICATIONS

L’expert doit fournir de l’information pour justifier qu’il a les compétences et l’expérience pour être retenu comme témoin expert. À cette fin, il devrait produire un curriculum vitae, qui devra être joint au rapport d’expert et qui inclura sa formation, une liste des mandats réalisés dans le domaine pour lequel son expertise est requise, des preuves de formation continue le cas échéant, etc.

Sur demande et à tout moment, l’expert peut être tenu d’informer le tribunal (ou les parties) de ses compétences professionnelles ou d’expliquer davantage certains éléments spécifiques.

IMPARTIALITÉ

« L’expert dont les services ont été retenus par l’une des parties ou qui leur est commun ou qui est commis par le tribunal a pour mission, qu’il agisse dans une affaire contentieuse ou non contentieuse, d’éclairer le tribunal dans sa prise de décision. Cette mission prime les intérêts des parties.

L’expert doit accomplir sa mission avec objectivité, impartialité et rigueur.3 »

Le témoin expert doit maintenir une attitude désintéressée et objective. Son analyse des faits doit être faite de façon impartiale. Il doit par conséquent tenir compte de tous les faits, même ceux pouvant nuire aux intérêts de son client. Il ne doit pas entrer dans le jeu de son client ou « épouser sa cause ». Le fait que ce soit le client qui paie les services de l’expert ne saurait influencer le jugement professionnel de l’ingénieur forestier qui doit en tout temps préserver son indépendance professionnelle4. Obtenir un mandat écrit clair de la part du client ou de son avocat pourra faciliter la compréhension des parties sur cet aspect. Il faut retenir que le tribunal pourra, en tout temps, poser des questions sur le déroulement de ses travaux de même que sur les instructions qu’il a reçues d’une partie.

L’impartialité est à ce point importante, que la partialité d’un expert, si démontrée, peut entrainer le rejet de son rapport.

OBLIGATIONS DÉONTOLOGIQUES

Outre les obligations de nature procédurales, il y a lieu pour l’ingénieur forestier qui agit comme expert de tenir compte de ses obligations déontologiques. Le Code de déontologie des ingénieurs forestiers5 (ci-après : le Code de déontologie) jette les bases de la conduite de tout ingénieur forestier, notamment ceux qui acceptent un mandat pour témoigner à titre d’expert devant les tribunaux. Nous pouvons notamment évoquer l’article 8 qui indique qu’avant d’accepter un mandat un ingénieur forestier « [...] doit tenir compte des limites de ses connaissances ainsi que des moyens dont il dispose ». Un ingénieur forestier doit donc éviter d’accepter un mandat pour lequel il n’a pas l’expérience ou les connaissances nécessaires ainsi qu’un mandat pour lequel il ne maîtrise pas les règles de l’art. Nous pouvons ici nous référer à la décision rendue par le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs forestiers dans le dossier 23-19-00001 où l’on mentionne que l’intimé « (...) n’a pas tenu compte de ses limites et de ses connaissances au moment d’accepter le mandat. »6 .

L’article 5 du Code de déontologie mentionne que l’ingénieur forestier « [...] ne doit exprimer son avis sur des questions ayant trait à la foresterie, que si cet avis est basé sur des connaissances suffisantes. [...] ». Ceci signifie que l’expert doit s’assurer d’avoir la formation et l’expérience nécessaires pour informer le tribunal adéquatement. Il doit au surplus éviter toute fausse représentation quant à son niveau de compétence ou à l’efficacité de ses propres services, tel que le prévoit l’article 12 du même règlement.

Mentionnons qu’un expert ne doit pas se présenter en cour dans un objectif d’attaquer l’expert de la partie adverse. L’article 53 du Code de déontologie indique que l’ingénieur forestier « [...] ne doit pas surprendre la bonne foi d’un confrère, abuser de sa confiance, être déloyal envers lui, discréditer publiquement son travail [...] ». Ainsi, lorsque les avis des experts sont contradictoires, le travail de l’un ou l’autre est de souligner quelles sont les différences entre les rapports des experts, expliquer en quoi son avis professionnel diffère de celui de son confrère et pour quelles raisons son opinion devrait être retenue par le tribunal.

En tout temps, l’ingénieur forestier doit avoir une conduite empreinte d’objectivité et d’honnêteté intellectuelle telle que le prévoit l’article 2 du Code de déontologie. Ainsi, l’expert doit adopter une conduite impartiale afin d’orienter le tribunal de façon objective. Dans la décision disciplinaire 23-19-00001, le Conseil de discipline mentionne que l’intimé a « (...) manqué à son devoir d’adopter une conduite objective au moment de donner son avis (...), lors de la préparation de son rapport d’évaluation des dommages et au moment de témoigner devant le tribunal. » 7.

Finalement, l’ingénieur forestier, même s’il agit à titre d’expert, demeure lié par le secret professionnel8. Ainsi, outre ce qui est requis aux fins de l’expertise et du témoignage, les renseignements confidentiels détenus par le professionnel demeurent protégés par le secret professionnel, sauf autorisation du client ou lorsque la loi l’ordonne expressément.

QUALITÉS REQUISES DU TÉMOIN EXPERT

Outre l’indépendance, la compétence et l’impartialité, quelles sont les qualités recherchées chez un expert. Il doit d’abord avoir obtenu un mandat clair et il doit bien comprendre le rôle qu’il doit jouer en témoignant devant un tribunal. Il doit aussi y avoir absence de tout conflit d’intérêts quant au mandat. Il doit agir avec rigueur et pondération dans l’exécution de ses fonctions.

Un témoin expert devrait aussi être en mesure de s’exprimer de manière intelligible et d’accepter que son expertise puisse être critiquée, notamment à l’occasion d’un contre-interrogatoire.

En conclusion, un ingénieur forestier qui dérogerait à ces règles de conduite enfreindrait ses obligations professionnelles et déontologiques, jetant ainsi un certain discrédit sur la profession d’ingénieur forestier. En acceptant un mandat de réaliser une expertise pour lequel il n’a pas les compétences ou les connaissances nécessaires, ni les aptitudes pour agir à ce titre, ou en ne jouant pas son rôle d’expert avec rigueur et impartialité, l’ingénieur forestier ne rend service ni à son client, ni à la justice, ni à sa profession.

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1 Art. 231 du Code de procédure civile (C.p.c.)

2 Art. 238 C.p.c.
3 Art. 22 C.p.c.
4 Art. 32 du Code de déontologie des ingénieurs forestiers (c. I-10, r.5)
5 (c. I-10, r.5)
6 Paragraphe [63] de la décision 23-19-00001
7 Paragraphe [62] de la décision 23-19-00001
8 Art. 39 à 42 du Code de déontologie.