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Le 1er mars 2019, le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs forestiers rendait une décision statuant sur des manquements reprochés à un ingénieur forestier dans une plainte déposée par la syndique adjointe, le 28 juin 2018[1]. À l’origine de l’enquête qui mènera au dépôt de la plainte : un signalement émanant d’un ancien employé de l’employeur cité.[2]

Dans cette affaire, pour mieux comprendre les reproches adressés à l’ingénieur forestier concerné, il faut d’abord connaître les faits.

L’ingénieur forestier est membre en règle de l’Ordre depuis 1993. Il travaille pour une entreprise qui est accréditée à titre de conseiller forestier auprès d’une Agence régionale. Il agit, notamment, comme représentant de ce conseiller forestier, et ce, depuis plusieurs années.

Le Conseil de discipline résume les faits ainsi :

« La syndique adjointe est chargée de l’enquête qui débute à l’automne 2017.

Son enquête porte sur des agissements de M. (...) s’échelonnant du mois de juin au mois de novembre 2016.

La syndique adjointe a examiné des travaux d’aménagement forestier pour lesquels M. (...) a signé des prescriptions et des rapports d’exécution dans le cadre du programme d’aide à la mise en valeur des forêts privées, alors qu’il était propriétaire desdits lots le plaçant ainsi en situation de conflit d’intérêts.

L’enquête de la syndique adjointe démontre que le 16 juin 2016, M.(...) acquiert de deux frères deux lots forestiers pour un montant total de 80 000 $.

L’enquête de la syndique adjointe démontre que M.(...) a signé entre le début du mois de juin et le mois de novembre 2016, trois prescriptions et 17 rapports d’exécution destinés à réclamer de l’aide financière pour ces lots dont il s’apprêtait incessamment à devenir propriétaire ou dont il était propriétaire.

Entre les 10 et 14 juin 2016, M.(...) a signé six prescriptions portant sur les lots en question qu’il s’apprêtait à acheter dans les jours suivants.

Le 22 novembre 2017, la syndique adjointe transmet une lettre à M.(...) afin d’obtenir ses explications.

Le 1er décembre 2017, M.(...) donne suite à la lettre de la syndique adjointe. Il explique que le propriétaire qui fait l’acquisition d’un lot forestier n’obtient pas immédiatement le statut de producteur forestier comme le définit le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.

Selon lui, une période de trois à six mois est nécessaire afin de pouvoir effectuer un transfert de propriétaire.

Pour effectuer un tel transfert, il est nécessaire d’obtenir de la Municipalité régionale de comté (MRC) le nouveau numéro ou bien la confirmation du maintien du numéro d’unité d’évaluation de la propriété.

Par la suite, il faut présenter une demande au bureau d’enregistrement du statut de producteur forestier de la région en incluant le nouveau ou l’ancien plan d’aménagement forestier si celui-ci est valide. [...]

En l’espèce, M.(...) explique que l’émission officielle du statut de producteur forestier est effectuée le 7 novembre 2016.

Or, puisqu’il connaissait déjà cette période qu’il qualifie lui-même de « transitoire », M.(...)a présenté la situation aux deux vendeurs des lots forestiers. Ceux-ci ont accepté que M.(...) réalise des travaux même si le statut était toujours à leurs noms.

M.(...) leur a demandé de signer les prescriptions sylvicoles de travaux qu’il avait lui-même préparées de même que les transferts de paiement en faveur de ceux qui réaliseraient les travaux.

La syndique adjointe est d’avis qu’une telle période transitoire n’existe pas et qu’elle n’a aucune valeur légale.

Elle souligne par ailleurs que l’Agence régionale (...) a été informée de la situation de M.(...) uniquement 16 mois plus tard, quand elle l’a contactée dans le cadre de son enquête. En effet, l’Agence régionale n’avait aucune possibilité de savoir que M.(...) était le propriétaire des lots forestiers en question. »[3]

Ainsi dans sa plainte modifiée, la syndique adjointe de l’Ordre reproche à l’ingénieur forestier concerné :

  • - d’avoir omis de sauvegarder son indépendance professionnelle en signant des prescriptions et des rapports d’exécution pour des lots dont il était propriétaire;

- d’avoir inséré de fausses données dans des prescriptions et rapports d’exécution en y indiquant les coordonnées des anciens propriétaires des lots;

- d’avoir omis des données nécessaires en ne faisant pas inscrire la date de la signature des producteurs forestiers « déclarés »;

- De ne pas avoir subordonné son intérêt personnel à celui de ses clients en leur conseillant de signer des prescriptions à titre de propriétaire et producteur forestier alors qu’ils n’étaient plus propriétaires;

- De ne pas s’être acquitté de ses obligations professionnelles avec intégrité et avoir posé des actes dérogatoires à l’honneur et à la dignité de la profession en :

conseillant à des clients de signer des prescriptions à titre de propriétaire alors qu’ils ne l’étaient plus et de les avoir impliqués dans un procédé allant à l’encontre des règles de l’Agence quant à l’octroi d’aide financière;

et

en réclamant une aide financière à l’Agence régionale pour des travaux effectués sur ses propriétés sans jamais dénoncer cet état de fait aux responsables de ladite Agence.

Lors de l’audition, tenue le 31 janvier 2019, l’ingénieur forestier plaide coupable aux dix chefs de la plainte disciplinaire modifiée et les parties présentent au Conseil de discipline des recommandations conjointes quant aux sanctions à lui être imposées. Il est proposé par les procureurs des parties quatre amendes totalisant 11 000 $ de même que six réprimandes.

Le Conseil de discipline, qui a le pouvoir d’approuver ou non la proposition, conclut ainsi :

« Les parties soutiennent que l’imposition d’amendes totalisant 11 000 $ de même que six réprimandes sont dissuasives et exemplaires compte tenu de la nature des infractions commises par M.(...).

Le Conseil est d’avis que ces sanctions recommandées conjointement par les parties sont relativement clémentes pour M. (...) considérant les infractions qu’il a commises.

Toutefois, le Conseil souligne que le but du droit disciplinaire n’est pas de punir le professionnel, mais de corriger un comportement en lui permettant de continuer d’exercer sa profession.

Le Conseil, après avoir analysé tous les faits du présent dossier et pris en compte tous les facteurs tant aggravants qu’atténuants, en vient à la conclusion que les recommandations conjointes répondent aux exigences du droit disciplinaire. »[4]

Les exigences auxquelles réfère le Conseil de discipline s’inspirent d’une décision de principe de la Cour d’appel du Québec que vous verrez constamment citée dans les décisions disciplinaires. L’affaire Pigeon c. Daigneault [5] énonce clairement ce qui suit (veuillez noter qu’à une certaine époque le Conseil de discipline était désigné comme le « Comité de discipline »):

« LES CRITÈRES D'IMPOSITION DE LA SANCTION DISCIPLINAIRE

La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d'espèce.

La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants: au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (...).

Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif ... Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire.»[6]

C’est en lien avec le critère d’exemplarité que l’Ordre informe ses membres des manquements reprochés à certains ingénieurs forestiers. L’objectif est de prévenir que pareilles situations ne se reproduisent, et ce, au bénéfice de la protection du public.

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[1] Décision 24-18-00002 (accessible sur le site Internet de l’Ordre : https://www.oifq.com/protection-du-public/decisions-disciplinaires

[2] Le présent texte se veut un résumé d’une décision disciplinaire basé strictement sur les faits repris dans la décision ou sur des éléments produits en preuve lors de l’audition. Il ne s’agit ni d’un texte d’opinion ni d’un avis de nature juridique. Les éléments supplémentaires contenus au dossier d’enquête et non produits en preuve, ou non admis en preuve, de même que les faits protégés par une ordonnance de non-publication sont expressément exclus.

[3] Décision 23-18-00002, paragraphes [31] à [42] et [44] à [48]

[4] Ibid., paragraphe [45] à [48]

[5] 2003 CanLII 32934 (QC CA).

[6] Ibid., paragraphe [37] à [39]