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Il y a quelque temps, deux décisions disciplinaires du Conseil de discipline de l’Ordre ont statué sur des manquements déontologiques étroitement liés de deux collègues qui étaient à l’époque ingénieurs forestiers et travaillaient ensemble pour un conseiller forestier accrédité auprès d’une Agence1.

Au moment des événements reprochés, l’un des deux ingénieurs forestiers agit à titre de technicien et conseiller auprès des propriétaires forestiers. Il est responsable d’une partie des visites terrain, de la préparation de prescriptions et de rapports d’exécution.

L’autre ingénieur forestier est responsable du programme de mise en valeur de même que de la signature des prescriptions et des rapports d’exécution. Il supervise les travaux et l’équipe de techniciens forestiers.

À l’époque, les deux collègues sont des professionnels d’expérience, à quelques années de la retraite. Ils œuvrent dans des conditions où le volume de travail est important.

L’enquête du syndic, qui dure 2 ans, conclut à 56 manquements divers, échelonnés sur une période de 4 ans et qui impliquent une dizaine de propriétaires forestiers de la région. La conclusion de cette enquête mène au dépôt de deux plaintes disciplinaires. Au moment de tenir l’audition devant le Conseil de discipline, les deux personnes concernées sont à la retraite et ne sont plus membres de l’Ordre.

Une première plainte vise les manquements reprochés à l’ingénieur forestier agissant comme technicien et conseiller. Elle comporte 20 chefs qui se regroupent en quatre types de manquements :

Dans son rôle de conseiller auprès des propriétaires forestiers, le syndic lui reproche :

-D’avoir omis d’informer son client, propriétaire forestier, de la présence d’un cours d’eau dans le secteur des travaux visés par la prescription et de l’obligation de maintenir une bande riveraine   15 mètres. (Art. 20 du Code de déontologie2)

Dans son rôle de technicien, responsable de préparer les prescriptions à être signées par son collègue, il lui est reproché :

-D’avoir omis des données nécessaires dans la préparation de prescriptions en ne faisant pas état qu’un cours d’eau traversait la superficie visée par les travaux (et qu’une bande riveraine de 15 mètres devait être préservée) OU en ne faisant pas état que les peuplements visés avaient bénéficié d’éclaircies commerciales et étaient ainsi protégés par une politique de sécurisation des investissements de l’Agence concernée. (Art. 13 du Code de déontologie)

Dans le cadre de la préparation de rapports d’exécution à être signés par son collègue, le syndic lui reproche :

-D’avoir eu recours à des procédés douteux dans la préparation de rapports d’exécution en déclarant certaines superficies de travaux comme admissibles alors qu’une portion significative des superficies réclamées ne l’était pas OU en omettant de mentionner qu’une superficie significative des travaux n’avait pas été réalisée (Art. 18 du Code de déontologie).

Une dernière série de manquements concernent ses obligations professionnelles vis-à-vis son collègue. En ne faisant pas les vérifications sur le terrain – et en ne le signalant pas à son collègue - l’ingénieur forestier technicien et conseiller a abusé de sa confiance. Le syndic lui reproche à cet égard :

-D’avoir surpris la bonne foi de son confrère et abusé de sa confiance en omettant de l’informer, à l’occasion de la signature de prescriptions et de rapports d’exécution préparés par lui, que lesdits documents ne répondaient pas aux conditions d’admissibilité de l’Agence en raison :

- du non-maintien de bandes riveraines;

- de l’inclusion de superficies qui ne répondent pas aux conditions techniques de l’Agence;

- du non-respect du délai d’attente dans le cas d’une coupe totale non prescrite;

- qu’une superficie significative desdits travaux n’avait pas été réalisée.
(Art. 53 du Code de déontologie)

Dans ce premier dossier, le professionnel a reconnu sa culpabilité et le Conseil de discipline a entériné la recommandation commune présentée par les avocates des parties qui prévoyait 4 amendes minimales de 2 500 $ (10 000$), 17 réprimandes et le retrait de 3 chefs.

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Quant à l’ingénieur forestier responsable des travaux sylvicoles et signataire des prescriptions et rapports d’exécution, les manquements reprochés diffèrent. Le syndic lui reproche essentiellement des manquements en lien avec la supervision et l’obligation de s’assurer d’avoir une connaissance des faits avant de signer des prescriptions ou des rapports.

Essentiellement, les manquements reprochés à l’ingénieur forestier responsable et signataire comportent 32 chefs qui se regroupent en quatre types de manquements :

À titre de signataire de prescriptions sylvicoles, il lui est reproché :

- D’avoir apposé sa signature sur une prescription sans chercher à avoir une connaissance complète des faits, alors que les peuplements visés avaient bénéficié d’éclaircies commerciales et étaient protégés par une politique de sécurisation des investissements de l’Agence. (Art. 14 du Code de déontologie)

- De s’être prêté à des procédés douteux en signant des prescriptions pour un conseil technique après la date de réalisation des travaux déclarée au rapport d’exécution. (Art. 18 du Code de déontologie)

À titre de signataire de rapports d’exécution et demandes d’aide financière, le syndic lui reproche :

- De s’être prêté à des procédés douteux en produisant auprès de l’Agence une demande d’aide financière pour :

- des travaux dont une superficie significative ne répond pas aux conditions d’admissibilité de ladite Agence (bande riveraine, superficie traitée, protection des travaux);

- un conseil technique pour des travaux réalisés qui ne répondent pas aux conditions d’admissibilité des instructions techniques de ladite Agence (bande riveraine, superficie traitée, protection des travaux);

- un conseil technique concernant des travaux, alors que ce conseil technique avait déjà été facturé par lui;

- des travaux alors qu’une superficie significative desdits travaux n’a pas été réalisée. (Art. 18 du Code de déontologie).

- D’avoir apposé sa signature sur un rapport d’exécution en attestant, sans chercher à avoir une connaissance complète des faits, que tous les travaux avaient été effectués conformément aux conditions d’admissibilité de l’Agence alors que ce n’était pas le cas. (article 14 du Code de déontologie).

À titre de signataire d’une demande de remboursement de taxes foncières, il lui est reproché :

- De s’être prêté à des procédés douteux, en apposant sa signature sur un rapport pour le remboursement de taxes foncières, en attestant ne pas avoir constaté de manquement à la réglementation municipale alors que les travaux effectués dérogeaient au règlement d’une MRC concernant les délais de protection de peuplements ayant fait l’objet d’éclaircie commerciale. (Art. 18 du Code de déontologie)

Finalement, concernant un empiétement sur une propriété voisine à celle du propriétaire forestier concerné, le syndic lui reproche :

- D’avoir omis de tenir compte des conséquences de l’exécution de ses travaux sur la propriété d’autrui, en signant la prescription pour une coupe de récupération empiétant sur la propriété voisine. (Art. 2 du Code de déontologie)

- D’avoir apposé sa signature sur un rapport d’exécution en attestant, sans chercher à avoir une connaissance complète des faits, que tous les travaux avaient été effectués adéquatement et conformément aux conditions d’admissibilité de l’Agence alors qu’une partie significative de la superficie coupée empiétait sur une propriété voisine. (Art. 14 du Code de déontologie)

Dans ce deuxième dossier, le professionnel a également reconnu sa culpabilité et le Conseil de discipline a entériné la recommandation commune présentée par les avocates des parties qui prévoyait 5 amendes minimales de 2 500 $ (12 500$), 19 réprimandes et le retrait de 8 chefs.

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Quelle que soit votre occupation professionnelle, vous demeurez toujours sujet à l’application du Code des professions et à votre Code de déontologie (de même qu’aux autres règlements de l’Ordre). Dans l’une des deux décisions, le Conseil de discipline le rappelle d’ailleurs :

« Dans l’exercice de sa profession, l’ingénieur forestier porte toujours le même chapeau, celui d’ingénieur forestier et cela même s’il assume des responsabilités de conseiller forestier. Les décisions prises par les ingénieurs forestiers, tout comme leur signature, doivent être un gage d’intégrité et de fiabilité. »(nos soulignés)

Donc, le fait qu’à titre d’ingénieur forestier vous agissiez comme technicien ou conseiller auprès des propriétaires forestiers ne vous le libère pas de vos obligations déontologiques. Contrairement à la croyance de certains membres et futurs membres : l’acte de signer des documents n’est pas le point d’ancrage de la profession d’ingénieur forestier, c’est davantage l’acte de « conseil » qui importe4.

Quant au fait de bénéficier de l’apport d’un collègue qui agit à titre de technicien, cela peut s’avérer un avantage important. Il faut malgré tout vous assurer d’une supervision adéquate et mettre en place de bons mécanismes de contrôle.

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1 Décision 23-17-00005 et 23-17 00006. Les décisions sont disponibles sur le site Internet de l’Ordre au https://www.oifq.com/protection-du-public/decisions-disciplinaires
2 Nous utilisons Code de déontologie pour alléger le texte. Partout où mentionné, nous référons au Code de déontologie des ingénieurs forestiers (I-10, r.5)
3 Décision 23-17-00005, paragraphe [65] à [67]
4 Extrait de l’article 2 (4°), de la Loi sur les ingénieurs forestiers (I-10) : « 4° L’expression « ingénieur forestier » signifie une personne exerçant les fonctions d’ingénieur et compétente à donner des conseils sur ou à surveiller, exécuter ou diriger l’exécution de tous les travaux suivants : [...] »